1987. Denis Quaid incarne sur les écrans le lieutenant Tuck Pendleton, héros du film « L’aventure intérieure » de Joe Dante. Miniaturisé par des scientifiques, il se retrouve dans le corps d’un employé de supermarché aux commandes d’un micro sous-marin. 32 ans plus tard, la réalité n’est pas loin de dépasser la science-fiction. Car avec la montée en puissance des nanotechnologies et de la nanomédecine, l’infiniment petit ouvre des perspectives médicale gigantesques. Non seulement dans le traitement thérapeutique des maladies, mais aussi au niveau des techniques de diagnostic, de suivi des patients et même de médecine régénérative.
La nanomédecine : qu’est-ce que c’est ?
Dans nanomédecine, il y a nano… comme d’ailleurs dans nanotechnologies et nanosciences. Avec cette notion de nano, on entre donc dans le monde de l’infiniment petit. Un nanomètre équivaut en effet à un milliardième de mètre, et l’on parle de nanotechnologies lorsque l’on travaille à une échelle inférieure aux 100 nanomètres.
La nanomédecine fait usage de ces nanotechnologies pour arriver là où ce n’était auparavant pas possible. L’idée est donc d’agir à la même échelle que celle des tissus, des molécules, des cellules humaines, mais aussi de l’ADN, des protéines, des virus et des bactéries. Et cela va changer beaucoup de choses, notamment parce qu’il sera dès lors possible de cibler directement un de ces éléments et même de rentrer au cœur de la cellule, comme expliqué dans cette vidéo.
Nanomédecine thérapeutique : dites nanovecteurs de transport !
Mieux soigner grâce aux nanotechnologies : voici la promesse la plus concrète de la nanomédecine et la recherche fondamentale. Cela passe notamment par l’élaboration de nouveaux traitements médicamenteux pour les cancers, avec à la clé une meilleure efficacité et un traitement moins lourd pour le patient. C’est en tout cas l’un des principaux champs investis par la recherche en nanomédecine, avec à la clé quelques réalisations concrètes.
Un ciblage plus précis pour préserver le reste du corps
Dans ce cas du traitement du cancer, l’objectif est de mieux cibler les zones et cellules malades sur lesquelles le médicament doit agir. Cela permet de réduire l’impact de médicaments sur les cellules saines, et donc de limiter la toxicité et les effets secondaires d’un traitement lourd sur le reste du corps, comme
expliqué dans cette vidéo.
Nanovecteurs : trois générations en mouvement
Très concrètement, les nanotechnologies sont notamment utilisées pour créer des nanovecteurs. Ces nanovecteurs sont en réalité des capsules à l’échelle nano contenant des médicaments qui vont traiter la maladie. Ces nanovecteurs vont leur servir de véhicule ciblant une destination bien précise. Ils remplissent donc le même rôle de sous-marin que celui dans lequel Denis Quaid embarquait dans son aventure intérieure… sauf qu’ici ce sont des médicaments qui monteront à bord.
Mais ce n’est pas le seul atout de ces nanovecteurs : le principe permet aussi une libération prolongée du médicament, ce qui n’est pas le cas avec la radiothérapie. Par ailleurs, le combo nanovecteur et médicament permet de contourner les mécanismes de résistance de notre organisme, et donc augmente les chances que la cellule cancéreuse soit impactée par le principe actif du médicament.
On dénombre aujourd’hui trois types de nanovecteurs sur lesquels travaille la recherche fondamentale en médecine.
- Les nanovecteurs de première génération. Ces premiers nanovecteurs ont pour caractéristiques d’être identifiables par le corps humain comme entités étrangères. Et dans ce cas de figure, les entités étrangères sont confinées au foie où elles sont captées par les macrophages pour être ensuite éliminées. Ces nanovecteurs de première génération ne franchiront donc jamais cette barrière du foie pour aller ailleurs dans notre corps. Et c’est précisément cela qui a été exploité par leurs concepteurs, qui ont lesté ces nanovecteurs V1.0 de médicaments utilisés pour traiter des pathologies du foie. En d’autres termes, leur confinement au foie permet aux médicaments embarqués dans les nanovecteurs de cibler spécifiquement cet organe et les cellules des macrophages.
- Avec les nanovecteurs de deuxième génération, les dispositifs médicamenteux passent en mode furtif : ils échappent à la vigilance des cellules gardiennes du foie et vont pouvoir aller ailleurs dans le corps. Pour faire simple, les chercheurs ont imaginé de les recouvrir de polymères. Et c’est cette couverture qui les rend indétectables pour les macrophages du foie.
- Et pour le ciblage des cellules malades ? Il se fait de manière naturelle : les vaisseaux sanguins dans lesquels circulent les nanovecteurs sont entourés par une couche imperméable de protection, l’endothélium. Sauf qu’en cas de maladie ou d’inflammation d’un organe, ce qui est le cas des tumeurs cancéreuses, cette couche devient poreuse. Les nanovecteurs pourront donc par défaut se faufiler dans l’organe malade et y larguer leurs médicaments.
- Avec les nanovecteurs de troisième génération, le ciblage passe à la vitesse supérieure, car ils sont équipés d’une véritable tête chercheuse. Leurs concepteurs ont en effet placé sur la couverture qui les rend furtifs des molécules capables de reconnaitre des marqueurs spécifiques d’une maladie bien précise. Les nanovecteurs vont donc pouvoir repérer grâce à ces marqueurs les cellules atteintes de la maladie qu’ils traitent et s’y fixer. Cela veut donc dire que l’on va pouvoir envoyer et ancrer sur ces cellules atteintes de cette maladie, et nulle part ailleurs, le dispositif médicamenteux qui va lutter contre elle. En clair, le médicament pourra être délivré à l’échelle moléculaire !
Une innovation médicale inspirée de l’observation d’autres organismes
D’où viennent ces nanovecteurs si prometteurs pour le développement de nouvelles thérapies ? Tout simplement de l’observation de nanorganismes présents naturellement dans notre corps.
Les chercheurs sont partis du constat que c’était la petite taille de ces nanoéléments naturels qui leur permettait de franchir nos barrières biologiques et d’agir au cœur des cellules. Le fonctionnement des virus ou les lipoprotéines qui transportent le cholestérol dans le sang ont donc inspiré les chercheurs pour concevoir des médicaments capables de guérir une tumeur logée dans le cerveau.
Des nanoparticules pour agir directement
Dans le domaine du thérapeutique, la nanomédecine ne se limite pas à la seule conception des nanovecteurs. Des nanoparticules ont par exemple été développées, avec pour spécificité d’agir directement, et donc de dépasser le rôle de transporteurs de médicaments.
Dans le cas de traitement de cancer, elles sont injectées dans le corps humain à la recherche de cellules tumorales qu’elles vont attaquer. La recherche sur ces nanoparticules continue donc d’évoluer, avec de nouvelles avancées obtenues ces dernières années, comme celles-ci :
- Chauffer pour éliminer. les nanoparticules sont lestées de particules d’oxyde non toxiques que notre corps peut éliminer naturellement. Une fois fixées sur les cellules malades, il suffit de les chauffer à l’aide d’un laser pour brûler ces cellules.
- Du magnétisme pour éradiquer. Ici, ce n’est pas la chaleur mais bien un champ magnétique qui est utilisé pour faire vibrer à une certaine fréquence les nanoparticules fixées sur des cellules malades. Et ce chant vibratoire va activer un mécanisme de mort des cellules cancéreuses, sans avoir d’impact sur les cellules saines.
- Améliorer l’efficacité des rayons. les nanoparticules fixées sur les cellules malades vont intensifier l’effet des rayons, ce qui permet de mieux doser ces derniers et donc de préserver les zones saines environnantes.
De la recherche en nanomédecine au lancement de médicaments : où en est-on ?
Les recherches ont abouti au développement et à la mise sur le marché de médicaments, mais beaucoup sont toujours au stade de la recherche. Nombre de ces médicaments sur le marché sont basés sur les nanovecteurs de première génération, mais il en existe aussi qui utilisent ceux de deuxième génération. Quant aux promesses des nanovecteurs de troisième génération, il faut encore attendre, car tous les obstacles entre laboratoire, industrialisation, production et commercialisation n’ont pas encore été franchis.
Diagnostic et nanomédecine : détecter plus vite et plus précocement
La nanomédecine ne limite pas qu’au thérapeutique. On la retrouve aussi dans d’autres champs de la médecine, et notamment au stade du diagnostic. Sa valeur ajoutée ? Elle est double : détecter précocement la maladie, parfois même avant qu’elle ne survienne, mais aussi faciliter les analyses grâce notamment à des labos sur puce.
Lab on chip : un labo de poche pour faciliter les analyses
Avec les laboratoires sur puce, les nanotechnologies sont exploitées pour réaliser plus facilement et plus rapidement les analyses médicales. Ici, on miniaturise les dispositifs d’analyse pour obtenir des labos sur puces faits de divers mini-composants : microélectroniques, optiques, logiciels… Cette avancée technologique permettra donc de contourner la lourdeur du travail d’analyse.
Ces microlaboratoires pourront par exemple être mis à la disposition d’un médecin généraliste ou d’une infirmière qui effectueront eux-mêmes une analyse de sang, de salive ou encore d’urine pour détecter le marqueur d’une maladie.
Imagerie médicale et nanodiagnostic
Du côté de l’imagerie médicale, les nanosciences s’apprêtent aussi à faire bouger les lignes, avec pour promesse de peut-être arriver à détecter une maladie avant même qu’elle ne se déclare. C’est dans cette direction que va la recherche en imagerie moléculaire et sur les nanoparticules.
L’objectif ? Mieux cibler des organes ou cellules spécifiques pour mieux détecter et de manière beaucoup plus précoce. Cela permettrait par exemple de repérer des cellules cancéreuses à un stade indécelable par les méthodes classiques.
Ces nanodiagnostics sort dès lors du champ du constat pour entrer dans celui du prédictif : les biomarqueurs identifiés permettraient dès lors d’anticiper en mesurant le niveau de risque pour le développement d’une maladie, et d’être en avance sur celle-ci.
Des nanocapteurs pour monitorer nos cellules
Dans cette même logique d’anticipation, un pas supplémentaire pourrait être franchi avec l’implantation dans notre corps de nanocapteurs pour assurer un monitoring constant de certains tissus. Le suivi médical s’étendrait donc au-delà des visites dans un établissement médical. Il se fait partout et tout le temps. Mais cela pourrait bien entendu poser des questions éthiques importantes : qui aura accès à ces données, et pour en faire quoi ?
La médecine régénérative dans les starting blocks
Avec la médecine régénérative, les nanosciences pourraient aussi changer beaucoup de choses. Cette médecine régénérative pourrait entre autres fournir une réponse aux problèmes de rejets lors de greffes et transplantations. Plutôt que de remplacer une partie du corps qui ne fonctionne plus, on va faire en sorte qu’elle se répare ell-même en déclenchant un mécanisme d’auto-régénération.
Et c’est là où interviennent les nanosciences, avec des nanoparticules qui vont participer à la restructuration des tissus. Des biomatériaux vont côtoyer des cellules dont ils ont copié certaines caractéristiques. Lorsque notre corps va identifier cette similarité, il va stimuler la prolifération des cellules et aider le corps à se reconstruire.
Cette thérapie cellulaire basée sur ces implants nanométriques en est toujours au stade la recherche. Elle pourrait si elle aboutissait se traduire par des thérapies pour traiter les pathologies des os et cartilages, mais aussi des systèmes nerveux et cardiovasculaires ou encore de la peau.
Et les nanovaccins ?
Du côté des vaccins, les nanotechnologies sont aussi prêtes à avancer. Un exemple ? La mise au point du premier vaccin contre la toxoplasmose par la start-up française Vaxino. Actuellement en phase de test sur des animaux, ce vaccin utilise des nanoparticules biocompatibles composées d’amidon de maïs et de lipides, non toxiques et que l’organisme élimine en 48 heures. Le principal avantage de cette option ? Le vaccin n’utilise pas de parasite vivant, ce qui annihile le risque d’infection et de développement de la maladie. Mais aussi une administration par injection dans le nez, donc de manière non intrusive.
Un potentiel qui ne demande qu’à être plus exploité
Si les perspectives qu’ouvre la recherche en nanomédecine sont impressionnantes, les réalisations concrètes et disponibles pour le patient sont plus timides. Le nombre de médicaments présents sur le marché, en grande majorité dédiés au traitement du cancer, reste limité. Les chercheurs espèrent en tout cas voir aboutir leurs travaux sur les vecteurs de troisième génération, mais aussi que l’on puisse rapidement étendre les avancées de la nanomédecine aux traitements d’autres maladies lourdes.
Une des raisons expliquant cette lenteur serait le coût bien plus élevé que pour des médicaments traditionnels des étapes à franchir pour passer de la recherche à la commercialisation. La recherche se heurte parfois aussi à des contraintes réglementaires.
Du côté des risques, la recherche devra aussi s’assurer de la non-toxicité des nanoparticules, qui ont pour vocation de circuler partout dans notre corps, y compris à travers les parois qui nous servent de barrière de protection, comme pour le cerveau. D’un point de vue éthique et presque philosophique, les dernières évolutions pourraient modifier en profondeur le concept même de médecine et soulèvent certaines questions : quelle utilisation ferait-on des données de suivi médical envoyée non-stop par des micro-capteurs disséminés dans notre corps ? Ne risque-t-on pas non plus de voir débarquer un nouveau type d’humain, mélange d’homme et de machine dans laquelle la technologie fait partie du corps ?
Entre promesses et espoir, les années à venir seront probablement cruciales pour voir si la nanomédecine va effectivement chambouler les soins de santé, tant pour le patient que pour le médecin.